Entretien Atlantico : La guerre des câbles sous-marins a-t-elle commencé en silence ?
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Atlantico : Mercredi soir, un grave incident impliquant un câble sous-marin dans le sud de la France a provoqué des problèmes de connectivité Internet généralisés. Au moins trois câbles à fibre optique ont été coupés, ce qui a ralenti l’accès à Internet pour les utilisateurs en Europe, en Asie et aux États-Unis. Dans le même temps, des câbles ont été endommagés entre le Shetland et les îles Féroé. Y a-t-il une augmentation de ces accidents ces derniers temps ?
Ophélie Coelho : On en parle beaucoup plus, mais ce genre d'incident est en fait assez commun. Il s'agit souvent d'incidents dus à des bateaux, des chalutiers et des ancres, et aussi parfois à des travaux menés sur les fonds marins lors desquels des machines coupent des câbles par erreur. Cela arrive toute l'année sans que l'on en parle.
Ce sujet remonte particulièrement en ce moment car avec le conflit en Ukraine et les tensions entre les blocs Etats-Unis/Russie/Chine, ces accidents font plus de bruit. Les câbles sous-marins sont devenus un sujet qui crée le buzz depuis que les inquiétudes se sont multipliées autour des risques de voir un pays comme la Russie les couper. Pourtant, ces faits ne sont pas nouveaux. Qu'il s'agisse de couper des câbles dans une logique militaire, terroriste, ou dans le cadre d'une guerre civile. Par exemple, c'est ce qu'il s'est passé au Yémen en janvier 2020 lorsqu'une faction houthi a visé des câbles pour limiter l'accès de la population aux communications (NDLR : la coupure du câble Falcon, dans la région de la mer Rouge, a affecté quelque 80 % des connexions Internet du Yémen pendant plusieurs jours).
L'explosion de deux pipelines de gaz permet de se poser la question d'un risque de sabotage de ces infrastructures critiques dans le cas d'une guerre hybride. Quel serait l'impact d'un tel accident ?
On parle là de choses très différentes. Les pipelines de gaz sont des infrastructures difficilement remplaçables ; alors que les câbles sous-marins représentent plusieurs centaines de routes. Et en Europe, nous ne sommes pas les plus mal lotis. Nous ne sommes pas dans la situation de certains pays d'Asie et surtout d'Afrique qui sont reliés à uniquement un ou deux câbles sous-marins. En Europe, si un ou plusieurs câbles sont coupés, nous avons la capacité d'être résilients et de rediriger le trafic de données sur d'autres câbles. C'est ce qui s'est passé mercredi dernier, quand trois câbles ont été coupés dans la région de Marseille. Beaucoup de données sont passées tout simplement par d'autres voies, dont des câbles sous-marins mais aussi des câbles continentaux.
On a tendance à complètement ignorer les câbles continentaux dans le débat actuel, alors qu'en réalité, c'est par eux que la majeure partie du trafic Internet circule. Bien entendu, on ne parle pas là des services extra-continentaux, mais à la base, il ne faut pas oublier que la technologie Internet fonctionne principalement sur des câbles continentaux. En résumé, quand des câbles sous-marins sont coupés, nous pouvons être résilients et faire passer les données par d'autres câbles sous-marins ou tout simplement terrestres.
L'impact de ces coupures est donc un ralentissement ponctuel de certains services ?
Tout à fait. C'est un ralentissement ponctuel, mais qui peut couper totalement certains services extra-continentaux. Par exemple, prenons un outil qui serait stocké en Australie : si toutes les données passent par un câble unique et qu'il n'y a pas d'autre route établie entre l'Australie et la France, couper ce câble entraînera une rupture de l'accès au service. Mais c'est une hypothèse peu probable aujourd'hui, puisque nous avons d'autres possibilités de relier la France et l'Australie. Ce n'est pas le cas de tout le monde : certains pays d' Afrique sont reliés à seulement un ou deux câbles. Si on leur en coupe un, ils perdent énormément de services. C'est de moins en moins le cas, car ils sont de plus en plus connectés à tous les continents, mais cette situation peut encore exister.
En revanche, nous, Européens, sommes beaucoup plus armés pour faire face à ce problème.
Comment les Etats surveillent-ils ces câbles ?
On parle aussi beaucoup de ce sujet car il s'agit in fine d'outils militaires et qu'investir dans ce domaine-là, c'est aussi investir dans des technologies sous-marines. Quand Florence Parly en février dernier a détaillé la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, ce dont elle a parlé en substance, c'est du financement d'appareils et de technologies qui permettent d'investir et de mieux surveiller les fonds marins. Cela ne concerne pas seulement les câbles de télécommunication, mais aussi des câbles de transport d'énergie et également de la possibilité, en ayant la possibilité de surveiller les fonds marins, d'exploiter les ressources qui s'y trouvent. Tout est lié.
Si on a tendance à parler plutôt des câbles de communications, c'est aussi parce que c'est un sujet plus facile à communiquer auprès du grand public. C'est un objet politique facile à exploiter. Mais derrière ça, il y a la capacité d'exploiter et de défendre les fonds marins. Sachant que la France, jusque dans les années 1970, était assez en pointe là-dedans. Elle a depuis perdu ces compétences, notamment au profit des Etats-Unis et de la Chine.
Il n'y a pas que les câbles sous-marins de communication derrière ce débat et derrière les investissements en cours. La Marine nationale a mené ce mois-ci sa première campagne de surveillance des câbles sous-marins lors de la mission Calliope : cela a été l'occasion de tester de nouveaux équipements de surveillance. La France est en quelque sorte en train de récupérer une forme de souveraineté qui avait pas mal baissé. Pour l'instant, les entreprises qui en bénéficient ne sont pas forcément des entreprises françaises, mais plutôt européennes - norvégiennes, notamment – mais cela reste un investissement nécessaire pour défendre ces zones stratégiques. Sachant qu'il n'est pas possible de surveiller l'ensemble d'un câble. Vous pouvez poser des drones à certains endroits d'un câble mais il est peu probable que vous le surveilliez en entier à 6000 mètres de profondeur.